Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
...avec ou sans sucre ?
...avec ou sans sucre ?
...avec ou sans sucre ?
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 82 501
24 octobre 2006

Petite biographie d'Augustin Hanicotte

Extrait d'un article à paraître en décembre dans l'Indigène.

Augustin Hanicotte, natif de Béthune (22/07/1870), n’y aurait passé que ses tendres années. Suite au remariage de sa mère, qu’il perd à l’âge de treize ans, il devient beau-fils de Pierre Rinquin. Homme d’exception, cet enseignant occupe courageusement le fauteuil majoral aux heures les plus sombres de la Première Guerre mondiale (comme en témoigne sa correspondance privée) ; sa mémoire mérite réhabilitation...

Sans qu’avec précision l’on connaisse les tenants, Augustin « monte à Paris » et s’implante à Montmartre vers 1890, quartier pittoresque très fréquenté des artistes. C’est également là que les propriétaires du « Petit Béthunois », organe de presse impliqué dans la vie de la citée artésienne, possèdent une imprimerie…

On ne connaît à priori nul détail de la scolarité de ce fils de Buridan ; pas de certitude sur son passage dans un établissement cambrésien après le décès maternel. Rien des ambitions, des passions qui le propulsent dans la capitale. On ne sait pas davantage ce qui le conduit à choisir pour maître Fernand Cormon (1845-1924), hormis la notoriété ? Ce peintre académique aux vertus pédagogiques remarquables [1] enseigne alors en indépendant, avant de finir sa carrière à l’Ecole des Beaux-Arts.

Hanicotte se prend d’amitié pour Jules Adler (1865-1952), notamment connu pour sa Grève du Creusot (1899) et Emile Wéry (1868-1935), peintre-graveur champenois (ponctuellement voisin d’atelier d’un autre nordiste : Henri Matisse (1869-1954), avec qui il voyage en Bretagne [2] en 1895 et 1896)… La fidélité des trois hommes dure toute leur vie. Le Béthunois quitte parfois Paris, qu’il affectionne pourtant au travers de ses cabarets ou des festives « cavalcades de la Vache Enragée », pour des espaces incitant davantage à la méditation et à l’expression de son art. Il peint en Normandie puis en Bretagne (Solitude, en 1895, œuvre détruite du musée de Saint-Nazaire). Aucune relation de ces périples, aucun témoignage direct ou indirect de ses rencontres, de ces échanges ; tout au plus quelques mentions comptables dans ses archives. Ces côtes ont cependant inspiré les impressionnistes et son contemporain Gauguin avec, derrière lui, les Nabis.

Ses pas mènent ce solitaire en Hollande, par suite de quelques lectures [3] ? En quête d’un pittoresque ethnographique effleuré lors de ses voyages en province, il se plaît dans la petite agglomération portuaire de Volendam, sur les bords du Zuiderzee. L’aubergiste du coin prend Hanicotte en affection. Comme à bien d’autres peintres, il lui loue une bicoque-atelier. L’hôtelier se plait en compagnie des artistes, nombreux à passer par la bourgade colorée. Les murs du restaurant de l’Hôtel Spaander s’ornent de tableaux laissés en guise de paiement, pratique évoquant Montmartre… Augustin se fait des connaissances, des amitiés [4]. Un 6 décembre, pour le sourire des enfants, le nordiste joue au bon saint Nicolas ; d’une petite embarcation, il atterri sur la plage en costume d’évêque, offre des friandises. Il prête aussi activement son concours au tournage d’un film prenant pour figure les Volendamers. Est-il meilleure manière pour s’intégrer ?

Eté comme hiver, outre moulins et clochers, il dessine sur le motif les personnages qu’il côtoie : pêcheurs, enfants, personnes âgées, en extérieur comme au cabaret. Vers 1905, Augustin se passionne pour les patineurs sur glace dont il croque volontiers la gracieuse gestuelle (à l’exemple de l’un des dessins acquis). Il subsiste de cette période quelques pochades et huiles rendant compte du chemin parcouru… L’artiste cherche instinctivement la simplicité, le trait épuré et joue avec de son indéniable talent de coloriste par des rehauts et des aplats traduisant la lumière. Econome de ses moyens, il va à l’essentiel ; c’est là une exigence qu’il tiendra jusqu’à la mort. Son inspiration semble s’inscrire, par une sorte de filiation naturelle, dans le sillage des scènes de genre des Breughel, revisités, réappropriés, réinventés tel qu’un Van Gogh a su le faire avec d’autres de ses devanciers. Mais là n’est pas son unique source, tant est frappante la manière dont Hanicotte aborde et se pénètre de l’ambiance des thèmes hivernaux… si proche d’Hendrick Avercamp (1585-1634), le « muet de Kampen », influencé à ses débuts par les Flamands d’Amsterdam (comme en témoignent ses paysages) [5]. Ce maître, l’un des plus grands de l’école hollandaise du XVIIe siècle, était fort apprécié pour ses dessins foisonnants de vie, colorés d’aquarelle et de gouache.

A l’inverse de bien d’autres, qui passent à Volendam mais ne restent pas, Hanicotte songe de moins en moins rentrer en France… d’autant qu’il rencontre l’âme sœur en la personne de l’une des filles de Leendert Spaander : « Trinette » ! Pragmatique, il conserve des liens avec le monde parisien [6] et présente régulièrement des œuvres au Salon. Deux toiles sont primées : Leur Mer (1904), que l’Etat achète également avant de l’envoyer à Saint-Denis-de-la-Réunion [7] et La Kermesse (1911), acquise pour le Luxembourg (déposée ensuite au musée de Valenciennes)… Une troisième œuvre, plus originale, mieux aboutie aussi, se trouve dénigrée des officiels -y compris de Cormon-, traite de l’Enterrement d’un Pêcheur (1911). Son approche, pensons-nous, fait écho à l’authentique tradition toujours bien vivante des Charitables de sa ville natale…

En dépit de cette blessure d’amour propre, l’atmosphère lumineuse du pays batave semble propice au travail. Mais des bruits de bottes raisonnent ; le jeune couple prend le train pour Paris où il convole en juste noce. Jaurès vient de mourir…

Tandis que certaines de ses œuvres figurent au pavillon de la France à l’exposition universelle inaugurant le canal de Panama [8], il répond à une convocation de l’Armée. L’âge ne lui permet pas un service d’active ; sa santé le dispense des Auxiliaires. Hanicotte souffre de polyarthrite articulaire ; il ne peut tenir un fusil et éprouve sans doute, lors de crises aigues, autant de difficultés avec un pinceau…

Le couple part pour Perros-Guirec, site de villégiature en vogue. L’architecte Delvaux, amitié montmartroise, les rejoint avec sa compagne et prend une location dans le voisinage... Wéry serait-il du voyage ? Le journal de Maurice Denis (1870-1943) [9], brièvement présent en son refuge de Silencio, mentionne qu’il croise cet ami.

Hanicotte gagne Lourdes et rencontre un médecin réputé, mais le praticien doit vite rejoindre les drapeaux. Il conseille un climat approprié au malade. Delvaux recommande Banyuls qui bénéficie d’un microclimat. Le couple s’y installe. Cet emménagement de courte durée offre-t-il l’occasion d’un contact avec le sculpteur Aristide Maillol, dont l’atelier se situe dans la « Métairie » familiale ? Sans qu’aucun élément impartial n’accrédite une amitié partagée, il apparaît qu’Hanicotte rend de temps à autre visite au sculpteur. Lui doit-il quelques conseils, quelques encouragements [10] ?

Sans quitter le littoral catalan, le peintre fait choix de Collioure. Ce petit port de pêche, mondialement connu grâce à Matisse et Derain, offre d’étranges similitudes avec Volendam. Augustin y trouve une part de ce qu’il a perdu, en 1917, lors de l’inondation des polders néerlandais. Dans ce cataclysme disparaît l’essentiel de son fond d’atelier, mettant un terme à toute éventuelle velléité de retour.

Cette tragédie n’empêche pas Hanicotte de repartir avec ardeur. A l’appui de ses croquis, il revient sur des thématiques typiquement hollandaises, tels les patineurs sur les canaux ou la mer gelés, près de Marken. Ce retour devient sensible dans la dernière partie de sa vie…

Pour l’heure, Augustin reprend l’atelier de Matisse, qu’il ne croise pas [11]. Le couple loue une maisonnette, rue Mailly [12], non loin de Notre-Dame-des-Anges, remarquable par la physionomie de son clocher-tour… Sur la grande plage ou sur celle d’Avall, règne des pêcheurs d’anchois et des ramendeuses, le peintre croque la vie alentour des barques catalanes. A l’embouchure de l’Ouille, les lavandières attirent son œil [13]. Il grimpe aussi dans la montagne, s’intéresse aux chevriers, aux figuiers, aux chênes-lièges, aux oliviers, aux maquis en fleurs, à la vieille route de Port-Vendres, au chemin de fer et au viaduc, aux jeux de la mer et de la montagne…

Dans l’Entre-deux-guerres, il renoue avec une action militante engagée à l’orée du siècle. En lien étroit avec les instituteurs, contre l’Education Nationale parfois, il emmène les élèves dans la nature et les initie à l’observation, au dessin, à la couleur… Pédagogue, il forme une « Ecole des Gosses de Collioure », exposée à Paris ou Cannes, grâce à la bienveillance de proches : Delvaux ou Wery [14].

Hanicotte n’échappe pas à la silhouette du Château des rois de Majorque [15]. Sensible à cet environnement, le nordiste s’engage activement et prête son concours au recensement des monuments historiques, décidé par Vichy. Il réagit vivement aux tentations municipales de démantèlement des remparts corsetant la citée, comme ensuite à l’Occupant dont les ordres de Berlin obligeaient à un dynamitage avant la fuite…

Sa correspondance l’atteste sans équivoque : Hanicotte n’apprécie pas l’ennemi. Toutefois, sa notoriété de peintre lui vaut de rencontrer le Fregattenkapitän Walter Denys [16], homme de culture d’origine française. Ces contacts obligés et polis ont-ils servi à l’abandon du projet destructeur ? Hanicotte n’a pas participé à la Résistance, à la différence de Maillol [17]. Comme beaucoup d’artistes [18], il a même contribué à une demande des Beaux-Arts visant à offrir au Maréchal un portefeuille d’œuvres originales. Rien ne permet toutefois de le suspecter de collaboration.

Sur base de dénonciations calomnieuses [19], il subit lors de l’Epuration (sanglante en Roussillon) un humiliant enfermement à la citadelle de Perpignan. Pis encore, malgré l’inconsistance du dossier d’accusation, ce Colliourenc d’adoption connaît l’infamie d’une interdiction de séjour. L’exilé renonce définitivement à la côte Vermeille. Anéanti, il s’installe à Narbonne et y termine ses jours, en 1957. Il y achève notamment une grande fresque sur kraft, faute de moyens, consacrée à la grande plage de sa terre d’élection [20]. Son œuvre transpose cette vision caractéristique d’un peintre septentrional, attaché aux scènes de genres, à l’univers coloré des bords de la Méditerranée.

Le Musée Régional d’Ethnologie possède deux œuvres d’Hanicotte : l’une achetée auprès de l’auteur, en 1932, pour constituer un fonds de peinture -désormais imprescriptible- au sein d’un musée communal déjà embryonnaire ; la seconde, une lithographie, don des Amis du musée en 2005. L’acquisition réalisée s’est effectuée dans ce contexte, en lien avec le Projet Scientifique et Culturel en vigueur ; elle apporte un complément judicieux, propre à saisir le travail du Béthunois. Un achat qui s’articule avec des collections et qui fait sens… Les dessins d’Augustin Hanicotte constituent des « notes » prises sur le motif. Certains morceaux figurent dans des compositions plus ambitieuses, réalisées en atelier.

[1] Cormon, de son vrai nom  Fernand-Anne Piestre, est connu pour ses peintures d’Histoire, tel Caïn fuyant avec sa famille (h.s.t., 1880 - musée d'Orsay). Il professe notamment à Lautrec, Louis Anquetin, Adolphe Beaufrère, Emile Bernard, Charles Laval ou… Vincent Van Gogh…

[2] Matisse reproche à Wéry son utilisation de la couleur, au sortir du tube… Les deux hommes se quittent fâchés.

[3] L'historien d'art franco-américain Henri Haward a publié, en 1874, un livre intitulé - La Hollande Pittoresque, s’imposant comme référence dans les milieux artistiques et motive des peintres à s’aventurer aux Pays-Bas.

En 1876, l’anglais Georges Clausen passe ainsi quelques temps à Volendam. Toutefois, c’est grâce aux articles d'Hubert Vos, dans The magazine of Art (1893), que l'endroit accède réellement à la notoriété. 

[4] Comme Wilm Wouters (1887-1957) et Georg Herin (1884-1936), qui deviendront ses beaux-frères...

[5] Avercamps est faiblement représenté dans les collections publiques des Musées de France, quand il ne s’agit pas de son neveu (ou frère cadet ?) et élève : Barent Avercamp (Kampen 1612-1672 / 79 ?).

[6] Il reçoit notamment la visite d’Adler, accompagné du très influent critique Louis Vauxcelles, qui popularisa le terme de « Fauve ». Sans doute aussi eut-il le plaisir de recevoir Emile Wéry, qui présente en 1900, au Salon de la Société des Artiste Français, Les Bateliers d’Amsterdam. Cette œuvre connue par la photographie d’un album recensant les acquisitions de l’Etat, a été détruite à la C.C.I. de Boulogne/Mer durant la dernière guerre.

[7] La vente publique a permis l’acquisition de deux études préliminaires pour chacune de ces pièces.

[8] L’ensemble des œuvres, plutôt que de risquer un retour, sillonne ensuite U.S.A. et Canada.

[9] Peintre néo-impressionniste issu du mouvement Nabi.

[10] Plus tard, alors qu’il demeure à Collioure, Hanicotte s’essaye à la tapisserie et même, moins probant, à la céramique. Si de nombreux artistes fréquentent le port catalan, il est assez probable que les deux hommes abordent pareilles questions. L’approche japonisante de certains sujets s’effectue-t-elle également dans ce contexte ? La relative proximité des deux hommes rend fort inutile les échanges épistolaires. De leurs rencontres (à l’inverse des rapports formalisés entre Aristide Maillol et Maurice Denis), ne subsistent qu’un petit nombre de photographies. Dina Vierny, ultime muse de Maillol, nous a précisé qu’elle réfutait l’existence de liens d’amitiés partagés.

[11] Ce dernier, parti pour Nice, ne remet plus les pieds à Collioure. Cet atelier pourrait être celui dont la fenêtre ouverte donne sur le petit port catalan, visible sur une œuvre du nordiste.

[12] Avec accès boulevard du Bauramar, directement face à la mer.

[13] Le musée a manqué la vente publique d’un tableau sur le sujet, chez Mercier, à Lille en 2004.

[14] Adolphe Delvaux, aussi aquarelliste, exposait en galerie ; Wery vivait dans l’ombre de Renoir, à Cannes…

[15] Ni aux forts environnants : Saint-Elme, Dugommier, les anciens casernements des soldats et officiers, les vestiges des anciens remparts, le fort Miradou, le Fort-Carré, le Fort-Rond et autres tours à signaux…

[16] Ce personnage clef dirige les défenses du « Stützpunktgruppe Port-Vendres », assure la sécurité des installations portuaires, le fonctionnement et l’adminis­tration militaire des services attachés.

[17] Dina Vierny fait partie du Comité Frye et favorise le passage des antifascistes à la frontière espagnole. Le sculpteur l’aide et sera à l’origine de la fameuse « voie Maillol », chemin de contrebandiers transfrontalier.

[18] Dont son ami montmartrois Guérand de Scevola… pionnier du camouflage militaire lors de la Grande Guerre.

[19] Comme l’atteste le dossier conservé aux Archives Départementales des Pyrénées-Orientales, vide d’élément sérieux… Localement, on pouvait peut-être en vouloir à cet « étranger » susceptible de contrecarrer certains projets d’aménagement. Son épouse, n’usait-elle pas d’une langue que des méridionaux peuvent facilement assimiler aux accents teutons ? Quant à sa fille, quelle faute impudente que de jouir du privilège de fréquenter la plage interdite aux travailleurs de la mer…

[20] Finalement acquise pour le musée de Collioure, sous l’impulsion de Joséphine Matamoros, par le Conseil Général des Pyrénées-Orientales.

Hanicotte__lavandi_res Les lavandières, vallée de l'Ouille, Collioure (vente Mercier)

Le 10 décembre 2005, avec l’aval de la Ville et de la D.M.F., le Musée Régional d’Ethnologie, déliquescent, procède -en salle des ventes de Vannes- à l’achat de vingt-cinq dessins. Ce lot homogène provient de la dispersion d’un ensemble potentiellement issu du fond d’atelier d’un peintre actif à la fin du XIXe et du début XXe siècle : Hanicotte, encore assez méconnu des publics avertis.

Hommage___Vincent Hommage à Vincent, circa 1905


Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité